1. Les ZFE : un outil clé pour la qualité de l'air
Instaurées par la loi « Climat et Résilience » en 2021, les Zones à Faibles Émissions (ZFE) visent à réduire les polluants atmosphériques en restreignant l’accès des véhicules les plus émetteurs. Le classement Crit’Air indique les restrictions applicables selon les émissions de particules fines et de NO₂. Chaque collectivité définit son périmètre, ses modalités (horaires, types de véhicules, etc.) et bénéficie du soutien de l’État : aides à la conversion, déploiement de plans vélo, fonds vert… (source : Ministère de la Transition écologique – ZFE).
2. Mai / juin 2025 : un tournant législatif majeur
Fin mai 2025, l’Assemblée nationale a adopté un amendement controversé visant à supprimer l’obligation nationale de mise en œuvre des Zones à Faibles Émissions mobilité (ZFE-m) dans les métropoles concernées. Cet amendement a été introduit dans le cadre du projet de loi de simplification administrative, connu sous le nom de loi 3DS, pour « Différenciation, Décentralisation, Déconcentration et Simplification de l’action publique locale ».
De quoi s’agit-il exactement ?
Cet amendement supprime l’article L2213-4-1 du Code général des collectivités territoriales, qui imposait aux agglomérations de plus de 150 000 habitants de créer une ZFE lorsque les seuils de pollution étaient dépassés. Il fait donc reculer la loi « Climat et Résilience » de 2021, en remettant la responsabilité sur les collectivités locales.
Sur le plan légal :
La suppression des ZFE n’est pas encore en vigueur. Le texte doit encore être examiné au Sénat, puis soumis à une commission mixte paritaire, et pourrait être partiellement censuré par le Conseil constitutionnel.
3. Un « entre deux » réglementaire pour les métropoles
Les vignettes Crit'Air restent obligatoires
En l’état actuel du droit, les vignettes Crit’Air sont toujours obligatoires pour circuler dans les ZFE, mais aussi en cas de pic de pollution entraînant des restrictions temporaires de circulation, y compris en dehors des ZFE. L’absence de vignette ou l’utilisation d’une vignette non conforme lors d’une telle restriction reste sanctionnée par une amende forfaitaire de 68 euros (article R411-19-1 du Code de la route).
Cette obligation est valable partout en France, indépendamment du devenir des ZFE structurelles. Le système Crit’Air reste l’outil de classification des véhicules utilisé par les préfets comme par les métropoles pour déclencher les restrictions.
De nombreuses métropoles maintiennent leur calendrier ZFE
En l’absence de modification juridique effective, les interdictions prévues pour 2025 restent valides, sauf décision contraire de la collectivité locale. Cela signifie que, dans la majorité des cas :
- Crit’Air 4 et Crit’Air 5 sont déjà interdits dans de nombreuses métropoles.
- Crit’Air 3 sonts interdits depuis le 1er janvier 2025 dans plusieurs villes, exception des reports et de possibles ajustements.
Cartographie des mesures locales (au 08/2025).
Métropole | Interdiction actuelle |
---|---|
Paris | Crit’Air 3, 4, 5 interdits depuis le 1ᵉʳ janvier 2025 (avec « Pass 24 h » autorisé 12 jours/an). |
Lyon | ZFE active avec Crit’Air 4/5 interdit; Crit’Air 3 en cours, dérogation « horaires décalés » jusqu’en 2026. |
Grenoble-Alpes | Crit’Air 3 interdit depuis le 1ᵉʳ janvier 2025. |
Montpellier, Toulouse, Bordeaux | ZFE en place (désormais Crit’Air 4/5, puis Crit’Air 3 programmés) ; maintien annoncé malgré incertitude nationale. |
Nantes, Strasbourg, Lille, Rennes | Interdiction prévue Crit’Air 4/5 fin 2025, Crit’Air 3 début 2026 ; incertitude persiste. |
Ces collectivités invoquent leur responsabilité en matière de santé publique et leur engagement dans la réduction des émissions de polluants pour justifier le maintien du calendrier initial, même en l’absence d’un cadre légal national obligatoire.
4. Enjeux pour les acteurs de la mobilité et les flottes professionnelles
Scénario : suppression nationale du dispositif ZFE
Conséquences directes :
- Réintroduction possible de 2,7 millions de véhicules Crit’Air 4, 5 ou non classés en centres urbains
→ Impact fort sur la qualité de l’air dans des villes déjà en dépassement (Paris, Lyon, Marseille) - Disparition du cadre unique national :
→ Chaque collectivité sera libre de fixer ses règles (périmètres, horaires, dérogations, véhicules concernés)
→ Risque de fragmentation réglementaire forte entre les territoires - Complexification opérationnelle :
→ Une entreprise présente à Paris, Lille et Toulouse pourrait devoir gérer 3 réglementations différentes - Perte de visibilité pour les gestionnaires :
→ Difficulté à planifier :- Le renouvellement de flotte
- Les stratégies logistiques
- Les contrats LLD et de location longue durée
Risques et problématiques multiples pour les professionnels
Risques sanitaires et environnementaux :
- Hausse potentielle des émissions de NO₂ et de particules fines
- Exposition accrue des populations sensibles (enfants, seniors, riverains des grands axes)
Risques financiers :
- Sanctions possibles :
→ Amendes en cas de non-respect des ZFE locales ou de pics de pollution
→ Immobilisation de véhicules non conformes - Surcoûts opérationnels :
→ Réorganisation des tournées, sous-traitance, stockage ou remplacement en urgence
→ Retards et perte de compétitivité
Complexité de gestion accrue :
- Flottes hétérogènes (Euro 4 à 6, Crit’Air 1 à 5, VE, hybrides, GNV, etc.)
- Multiplication des outils à adapter (géolocalisation, géo repérage et planification)
- Formation continue nécessaire pour les conducteurs sur les accès, horaires et règles locales
Une pression indirecte sur la stratégie bas carbone
Au-delà des questions réglementaires, cette situation remet en cause les efforts de décarbonation de la mobilité professionnelle. Beaucoup d’entreprises ont engagé des actions en lien avec la loi Climat et Résilience et les Objectifs de Développement Durable (ODD), comme :
- L’achat de véhicules 100 % électriques ou GNV ;
- Le recours à des carburants alternatifs (B100, HVO) ;
- La conversion de flottes via des dispositifs comme le rétrofit ;
- L’optimisation des tournées (IA, mutualisation) ;
- Ou la mise en place de chartes logistiques à faibles émissions.
Une éventuelle suppression des ZFE nationales pourrait ralentir ces dynamiques, faute d’incitation ou d’obligation réglementaire, malgré le maintien partiel des aides (bonus, suramortissement, subventions régionales).
5. Que faut il faire à ce jour ?
Recommandations :
- Conserver la vignette Crit’Air dans tous les véhicules
- Suivre l’évolution législative, notamment les décisions de la CMP et du Conseil constitutionnel.
- Anticiper le risque de règles locales : rester informé des arrêtés adoptés dans vos zones d’activité.
- Conserver une stratégie de verdissement de flottille, notamment via l’électrification et la conversion pour anticiper les contraintes réglementaires.
- Utiliser les aides disponibles : bonus conversion, fonds vert, aides au rétrofit, aide à la mobilité multimodale
Ce qu’il ne faut pas faire :
- Retirer la vignette Crit’Air — même si les ZFE sont annulées, les restrictions subsistent en cas de pic de pollution.
- Attendre passivement : l’état d’incertitude peut pénaliser les flottes face aux règles variables selon les métropoles.
- Omettre de vérifier chaque jour les actualités règlementaires locales.
Synthèse
Les ZFE constituent un levier concret pour la qualité de l’air et s’ancrent dans les politiques nationales et locales de mobilité. La récente tentative de suppression jetée en mai‑juin 2025 introduit un entre‑deux réglementaire, peut-être temporaire, mais il est impératif pour les gestionnaires de flottes d’agir : garder la vignette Crit’Air, suivre l’évolution législative, et renforcer déjà leurs stratégies d’électrification et d’accompagnement des conducteurs. Face aux métropoles agissant en ordre dispersé, une anticipation proactive des flottes devient essentielle pour limiter les impacts financiers, opérationnels et environnementaux.